Le Cap des tempêtes puis le Drake

Le Cap Horn est et restera un mythe. Si les progrès de la navigation et de la météo l'on rendu moins dangereux, il continue de marquer la frontière entre deux grands océans qui s'affrontent ici de toute leur puissance.

Autrefois, les clippers au portant arrivant de Californie, n'avaient pas ou peu de moyens de se repérer précisément comme aujourd'hui. Dans la tempête, beaucoup tournaient trop tôt en passant plus au nord-ouest le faux Horn, cap traître que les caprices de la géographie ont placé ainsi pour mieux tromper les marins inexpérimentés. Les bateaux arrivaient alors droit sur les Wollaston. Trop grands pour manœuvrer, ils se brisaient alors sur les récifs, laissant les naufragés sans secours mourir de froid et de faim. Les quelque deux cents navires qui ont coulé là ont fait la légende de l'austère rocher qui dresse ses falaises sombres au-dessus d'une mer toujours tumultueuse. Si le musée de Puerto Williams possède une carte recensant ces naufrages, je ne m'y suis pas attardé tant elle me faisait froid dans le dos.

Sur la face est de l'île Horn, le Chili a installé une base qui surveille et sécurise la zone. Dans la radio qui crépite, l'officier de quart nous demande notre route puis nous souhaite bon vent. Nous laissons le Horn par tribord avec une émotion certaine.

 

Un groupe d'albatros a pris son envol juste devant le bateau, nous laissant émerveillés : plus le vent souffle, mieux cet oiseau à l'envergure immense vole aisément, donnant ainsi une grande leçon au pauvre marin humain... Il faut voir cet oiseau magique se jouer des tempêtes et glisser sur le vent au ras de l'eau. Il ne vole pas, il danse avec les vagues, les frôlant du bout de la rémige (la dernière plume de l'aile). Quand le vent est faible et la mer calme, il reste posé : il attend patiemment le retour des tempêtes qui l'emmènent faire le tour du monde.

Aujourd'hui, la mer est formée avec une houle d'une belle amplitude qui vient du sud-ouest. Visibilité un mile, vent de 45 à 60 nœuds ouest/sud-ouest, avec une houle de 6 à 10 mètres de creux. Rien d'extraordinaire pour les marins chevronnés qui m'accompagnent. Nous quittons la terre pour quatre à cinq jours de traversée du terrible Drake. J'ai le cœur serré d'angoisse et l'estomac ne va pas tarder pas à suivre.

Francis Drake était un célèbre corsaire anglais. Parti de sa terre natale en 1577 avec cinq navires, il ne revint en Angleterre que trois ans plus tard, bouclant ainsi le deuxième tour du monde à la voile cinquante huit ans après Magellan. Il découvrit la mer qui porte son nom un peu par hasard. Déporté à la sortie du détroit de Magellan par des vents qui l'entraînèrent jusque dans les 57e sud, non loin de l'Antarctique, il en déduisit l'existence d'un autre passage au sud du détroit de Magellan.

Le premier à prendre la route du Cap Horn fut cependant le célèbre marin hollandais éponyme. La mer qui porte son nom est large comme la Méditerranée mais c'est une des plus terribles du monde. Elle commence au Cap Horn et s'étend jusqu'à la péninsule antarctique. L'équipement marin de haute mer est de rigueur. Emmitouflés dans nos combinaisons, nous faisons au mieux pour ne pas être transis par le froid. La terre a disparu derrière nous, nous sommes maintenant seuls entre deux océans, avec les albatros comme seuls compagnons.